l’abeille noire, une Perle DE PLuS EN PLuS rare

Outre les multiples facteurs qui déciment les colonies d’abeilles à travers le monde, l’abeille noire, abeille locale, est confrontée à une course à la rentabilité à court terme qui privilégie l’importation d’abeilles souvent inadaptées à nos territoires et plus fragiles.


Une merveille d’adaptation

Vive, frugale et résistante, l’abeille noire est présente des Pyrénées à la Scandinavie depuis un million d’années environ. De couleur brun-noir, elle est plus sombre que les autres sous-espèces européennes et plus grandes, avec un abdomen particuliè­rement large et volumineux. Sa trompe est relativement courte et ses nombreuses soies (poils) en font une excellente récol­teuse et d'inséminatrice de pollen, assu­rant ainsi la survivance de nombreuses plantes sauvages et contribuant aux ren­dements et à la qualité d’une grande partie des productions agricoles.

Particulièrement bien adaptée au climat européen, cette abeille locale est plus résistante aux maladies et les ouvrres sont reconnues pour leur longévité. Elle est capable de faire face aux conditions extrêmes de l’hiver : la taille de la colonie diminue alors et les abeilles consomment leurs réserves de miel avec parcimonie, un processus de régulation qui augmente leurs chances de survie.


Sauvage ou domestique ?

Les abeilles sociales, noires ou autres, ont un statut incertain, à mi-chemin entre do­mestique et sauvage. D’un côté, elles se nourrissent seules, s’adaptent aux condi­tions extérieures et n’ont pas besoin de protection dispensée par l’homme. De l’autre, elles sont amenées à vivre dans un abri fabriqué par un apiculteur, dont elles deviennent la propriété, et qui peut désor­mais contrôler sa reproduction.

Autrefois, les abeilles domestiquées pou­vaient redevenir sauvages lors de l’essai­mage, lorsque la reine quittait la ruche avec la moitié des habitants pour fonder un nouvel essaim, et réciproquement, elles pouvaient redevenir domestiques en passant d’une cavité naturelle à la ruche. Dans les conditions écologiques dégradées ac­tuelles, les essaims naturels, moins nom­breux, ne perdurent plus aussi bien. Sur­tout, l’évolution des pratiques apicoles vise à réduire l’essaimage en contrôlant la re­production, avec le greffage (transfert de larves), l’insémination artificielle ou la sé­lection des reines. L’abeille est donc une espèce de plus en plus domestiquée.

L’abeille noire peut être considérée à la fois comme sauvage et domestique, même si au regard de l’évolution des espèces et de son comportement, il conviendrait de la considérer comme un animal sauvage. D’autant qu’elle n’a pas été l’objet de sé­lection intensive comme certaines variétés d’abeilles modifiées par l’homme pour une productivité accrue. Cette absence de ca­tégorisation officielle est problématique, car seule une espèce sauvage peut être reconnue légalement comme « espèce menacée ». Or l’abeille noire est de fait une sous-espèce menacée en France pour plu­sieurs raisons.


Chronique d’Une disparition annoncée ?

Depuis une vingtaine d’années, les abeilles disparaissent massivement partout dans le monde. Dans les ruchers les plus tou­chées, les apiculteurs enregistrent jusqu’à 90% de perte (abeilles mortes, incapables de produire du miel ou qui ne reviennent jamais). On appelle ce phénomène le « syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ». En Europe, les taux annuels de mortalité entre 2012 et 2014 étaient autour de 23% en moyenne*, contre 5% à 10% de mortalité naturelle. En cause ? Plusieurs facteurs et leurs effets conjoints : pesti­cides, notamment les néonicotinoïdes, perte de la biodiversité liée à l’agriculture industrielle intensive, virus, parasites tels que le varroa, champignons comme Nose­ma cerranae, frelon asiatique, etc.

Outre ces facteurs qui affectent tous les pollinisateurs, des menaces spécifiques pèsent sur l’abeille noire : une mauvaise réputation et l’importation massive d’es­saims d’abeilles non locales.

Le genre Apis comprend quatre groupes d’espèces, dont Apis mellifera, ou « abeille porteuse de miel », l’abeille que l’on trouve particulièrement en Europe. Elle est venue d’Orient il y a un million d’années environ et a donné quatre lignées évolutives principales. L’abeille noire, ou Apis mellifera mellifera est donc une sous-espèce de l’une de ces lignées.

* programme d’observation Epilobee


la mauvaise réputation

L’utilisation de l’abeille noire par les apicul­teurs a fortement reculé, car elle a la réputation d’être agressive et de produire peu de miel. L’abeille noire n’est certes pas une abeille do­cile. Pour certains, cette capacité à se défendre, cette réactivité au stress, est même un avan­tage parce qu'elle oblige les hommes à adopter des pratiques apicoles qui respectent sa nature. Des scientifiques ont montré par ailleurs que ce sont surtout les abeilles hybrides, issues des croisements entre abeilles importées et abeilles noires, qui sont agressives et difficiles à manipuler. Quant à son supposé faible « ren­dement », les connaisseurs avancent qu’il est largement compensé par sa frugalité, le peu d’interventions qu’elle nécessite et sa régulari­té, les butineuses noires travaillant aussi par mauvais temps et étant plus performantes sur les floraisons précoces et tardives.


L'importation massive d’essaims

Du fait de cette réputation d’abeille nerveuse et peu productive, et en l’absence de marché local d’abeilles noires, les apiculteurs profession­nels français se sont tournés vers l’importation de sous-espèces aux rendements plus impor­tants à court terme : l’abeille italienne (Apis mellifera ligustica) dans les années 30, pour butiner le colza ; l’abeille caucasienne (Apis mellifera caucasica) dans les années 50, leurs trompes plus longues pouvant butiner le trèfle ; la Buckfast, une souche issue de multiples croisements, opérés par un moine dans l’abbaye du même nom.

Il n’existe aucune mesure légale, nationale ou européenne qui permette de réguler ces impor­tations d’un point de vue génétique. Certains états, notamment l’Italie dont les abeilles sont les plus utilisées dans le monde pour l’apiculture, n’ont aucun intérêt à une telle réglementation.

L’hybridation ou métissage, qui résulte de ces importations, participe pourtant à la fragi­lisation de la sous-espèce locale. Croisées avec des abeilles moins autonomes et moins adaptées au milieu, les abeilles hybrides sont plus faibles et demandent davantage de soins et d’entretien. À terme, ces abeilles métisses risquent de ne plus comporter ni les caractéristiques initiales de l’abeille importée (docilité et rendement), ni les capacités de résistance de l’abeille noire.

La pollinisation est fondamentale pour la biodiversité et l’agriculture. 80% de la pollinisation est effectuée par les hyménoptères (abeilles, guêpes, bourdons). Ce sont eux qui transportent le pollen (poudre contenant les cellules mâles) des étamines sur le pistil qui renferme les ovules (cellules femelles), permettant ainsi la fécondation et la transformation des ovules en graine et du pistil en fruit.

Protéger l’abeille noire, pourquoi ?

Intérêt Patrimonial

Cette sous-espèce existe depuis un million d’années ; il s’agit d’un patrimoine génétique à préserver et à transmettre aux futures générations et à tous les acteurs de l’agriculture.

Intérêt écologique

Les pollinisateurs ne sont pas interchangeables : ils ne vivent pas dans les mêmes milieux ni aux mêmes périodes de l’année et butinent différentes fleurs en fonction de la longueur de leurs trompes. Plus adaptée au climat local, l’abeille noire va vraisemblablement assurer une pollinisation plus constante, régulière et variée que les sous-espèces importées.

Intérêt économique

Plus résistante, d’une grande longévité, l’abeille noire demande moins d’entretien aux apiculteurs et sa production de miel est plus régulière. Elle est adaptée à une apiculture sédentaire, pollinisant les milieux et les cultures 365 jours par an.

Comment ?

  • En accélérant la transition vers un modèle agricole national et européen qui ne repose plus sur le tout-pesticide et les engrais chimiques, mais favorise la biodiversité et la viabilité du métier d’agriculteur.
  • En revalorisant les qualités de l’abeille noire auprès du grand public, des pouvoirs publics et des apiculteurs.
  • En encourageant l’élevage de reines et la production locale d’essaims auprès des professionnels.
  • En privilégiant des pratiques apicoles respectueuses de sa nature indocile. Des apiculteurs très attachés à ses qualités d’animal sauvage souhaitent au contraire éviter toute sélection opérée pour les besoins d’une apiculture productiviste fondée sur des stratégies d’intensification des rendements.
  • En créant des conservatoires d’abeilles noires, comme il en existe une quarantaine en Europe, une zone définie au sein de laquelle les colonies d’abeilles sont préservées dans le respect de l’espèce : absence de transhumance (les ruches ne sont pas déplacées), de sur-nourrissement (les abeilles ne sont nourries avec des sirops sucrés uniquement en cas de besoin et à hauteur de ce qui est prélevé uniquement), et d’importations d’abeilles non locales. En décembre 2015, la FEDCAN, la Fédération européenne des Conservatoires de l’abeille noire, a ainsi été créée. Elle regroupe une dizaine de conservatoires en France ainsi que POLLINIS et Lionel garnery, chercheur du CNRS, spécialiste de la génétique de l’abeille noire.

POur EN Savoir PLuS

Sur l’abeille noire, la FEDCAN, les conservatoires d’abeilles noires, l’action de POLLINIS pour les pollinisateurs, et pour trouver une liste des ouvrages de référence : www.pollinis.org

ASSOCIATION Indépendante ET SANS But Lucratif Qui milite grâce Aux DONS DES Citoyens POur Accélérer LA Transition EN Europe Vers une Agriculture Durable, respectueuse DE L’Environnement ET DES Pollinisateurs DONT ELLE Dépend. 143, Avenue Parmentier, 75010 Paris – contact@pollinis.org