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Agrochimie contre les pollinisateurs

Il faut protéger nos pollinisateurs locaux. Nos plantes ont besoins de leurs services. Sans eux la biodiversité n'existera plus. Arrêter les pesticides dangereux.

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Agrochimie contre les pollinisateurs

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Pollinis

ONG indépendante qui milite pour la protection des abeilles domestiques et sauvages, et pour une agriculture qui respecte tous les pollinisateurs
Le SCoPAFF et l’agrochimie contre les abeilles : histoire d’un scandale européen
Chapitre 1 (2011 - 2013)
L’agrochimie contre les abeilles

Des néonicotinoïdes à l’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles : l'histoire d'une récidive de l'industrie agrochimique européenne.

En Europe en 2011, alors que commence notre histoire, les colonies d’abeilles à miel subissent depuis quinze ans des phénomènes d’effondrements dramatiques. Sous les projecteurs de l’Union européenne, une classe d’insecticides particulièrement toxiques pour les pollinisateurs : les substances néonicotinoïdes, dont plusieurs font déjà l’objet de restrictions en France.

Les molécules de cette classe de pesticides deviennent un enjeu public majeur, quand un projet de nouveaux « tests abeilles » émerge. Portés par l’EFSA, l’autorité sanitaire européenne, il s’agit de nouveaux protocoles d’évaluation des risques des pesticides, qui ont justement permis de démontrer la toxicité de plusieurs néonicotinoïdes et qui doivent être appliqués plus largement afin de mieux évaluer les effets de chaque substance active, dans chaque pesticide, sur les abeilles mellifères, les bourdons et les abeilles sauvages. L’enjeu : pouvoir interdire les produits qui participent à l’effondrement des pollinisateurs.

Pour ce faire, les nouveaux « tests abeilles » devront d’abord être validés par le SCoPAFF, ou « Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale » en français, qui, présidé par la Commission européenne, réunit des représentants des États membres de l’Union européenne. L’industrie se dressera contre ce projet de protection des abeilles avant même sa soumission et elle trouvera, tout au long des négociations qui suivront, des soutiens au sein du SCoPAFF qui empêchera sa mise en place.

Cette enquête en trois volets se base sur l’analyse d’un ensemble de documents de l’agrochimie et de 78 échanges d’emails du SCoPAFF que POLLINIS a obtenus de la Commission européenne grâce à une bataille juridique toujours en cours. Le premier article expose la façon dont, après avoir tout fait pour sauver les néonicotinoïdes, l’industrie a cherché à empêcher la publication des nouveaux protocoles réunis dans l’EFSA Bee Guidance Document 2013, se présentant en protectrice des pollinisateurs tout en semant le doute sur les causes de leur effondrement. En toute bonne foi, cela va sans dire.

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Néonicotinoïdes : l’inquiétude monte

Les premiers témoignages faisant état d’un affaiblissement et d’une mortalité inhabituelle des colonies d’abeilles ont émergé à la fin des années 90 en France1. Grâce à l’alerte des apiculteurs, le rôle des pesticides dans cette situation, et en particulier celui des néonicotinoïdes, arrive rapidement sur le devant de la scène. Dès 1999, un moratoire sur le Gaucho avait suspendu son utilisation sur les semences de tournesol. Cet insecticide à base d’imidaclopride2, molécule de cette famille, est alors fabriqué par Bayer, le futur heureux acquéreur de Monsanto. Cette suspension a été complétée par une interdiction sur les semences de maïs en 2004. Et en 2011, alors que la situation d’Apis mellifera s’étiole, c’est l’ensemble des néonicotinoïdes qui sont pointés du doigt.

Voyant grossir la colère des apiculteurs et des citoyens inquiets pour la biodiversité, l’industrie de l’agrochimie échafaude un plan d’attaque. La stratégie que déploient ces multinationales ou leur principal représentant à Bruxelles, l’ECPA3, s’appuie alors sur trois piliers : une supposée expertise, du greenwashing4 et… tiercé gagnant, une stratégie du doute. Première cible, les décideurs européens. La seconde, grâce à des outils de communication plus larges comme un site dédié, le grand public.

Pour construire son image d’experte de la pollinisation, l’industrie organise notamment des évènements au sein d’une des principales institutions européennes. Au Parlement, le 28 juin 2011, l’ECPA organise ainsi une conférence intitulée « pollinisateurs et agriculture en Europe », suivie – naturellement – d’un cocktail. Les différentes prises de parole insistent sur l’importance cruciale des pollinisateurs et la nécessité de mener davantage de recherches sur « les raisons qui entraînent des changements de population de pollinisateurs », une autre manière de parler de l’effondrement de colonies d’abeilles… Vous avez dit euphémisme ?

« La collaboration de toutes les parties prenantes est vitale pour assurer un succès » – Friedhelm Schmider, ECPA

Friedhelm Schmider, alors directeur général de l’ECPA, conclura l’évènement d’une formule pour le moins révélatrice, en anglais dans le texte : « Aujourd’hui, nous avons observé un large consensus sur des problèmes urgents pour l’agriculture européenne et la préservation, non seulement des pollinisateurs, mais aussi de la biodiversité en général. C’est rassurant de voir que nous allons tous dans la bonne direction. La recherche continue sur les raisons des changements de populations de pollinisateurs nous permettra d’acquérir des connaissances nécessaires pour assurer une agriculture durable et un paysage européen bénéfique pour la biodiversité et la maintenance des services écosystémiques. La collaboration de toutes les parties prenantes est vitale pour assurer un succès. ».

Dans ce discours tenu au sein du Parlement européen, le lobby de l’agrochimie insiste sur la nécessité pour tous les acteurs de travailler ensemble, en partant de ce que l’industrie décrit comme un consensus, se positionnant ainsi parmi les porteurs de solutions. Parlant de « raisons » et de « problèmes » – toujours au pluriel – et persistant sur la nécessité de mener davantage de recherches, l’ECPA insiste sur la pluralité pourtant relative des causes de l’effondrement des populations d’abeilles. Le lobby tente ainsi de brouiller les pistes et d’occulter la centralité des pratiques agricoles industrielles dans la chute du nombre d’insectes5, tout en disqualifiant d’office les critiques qui chercheraient à la mettre à l’écart des politiques portant sur les pollinisateurs.
1Mortalités, effondrements et affaiblissements des colonies d’abeilles – afssa (Anses), 2008
Lien
2Cette substance, alors utilisée en France depuis 1994, est 7000 fois plus toxique que le DDT.
Pisa, L.W., Amaral-Rogers, V., Belzunces, L.P. et al. Effects of neonicotinoids and fipronil on non-target invertebrates. Environ Sci Pollut Res 22, 68–102 (2015).
3La European Crop Protection Association, ou Association Européenne de Protection des Cultures en français, aujourd’hui rebaptisé Croplife Europe, représente de nombreuses entreprises de l’agrochimie auprès des décideurs et des institutions européennes, et notamment les quatre géants Bayer-Monsanto, Syngenta-Chemchina, BASF et Corteva.4Le greenwashing, ou écoblanchiment, est la tentative d’une organisation de se montrer plus respectueuse de l’environnement qu’elle ne l’est vraiment.5
Outhwaite, C.L., McCann, P. & Newbold, T. Agriculture and climate change are reshaping insect biodiversity worldwide. Nature 605, 97–102 (2022).
Photo d'un parterre de fleurs déposé par le lobby de l'agrochimie devant le parlement européen

En juin 2012, un parterre de fleurs de plus de 500m2 représentant une abeille, accueillait les députés européens pour la Semaine européenne des abeilles et de la pollinisation. Crédit : Corporate Europe

Un an plus tard, en juin 2012, c’est BASF, entreprise chimique allemande, qui organise un événement sur les pollinisateurs au Parlement européen. Documentée par Corporate Europe, ONG basée à Bruxelles et observant les activités des lobbys en Europe, cette conférence propose aux invités de déguster des miels et d’échanger avec des apiculteurs. Un parterre fleuri recouvre par ailleurs le hall du Parlement pour l’occasion. Sur l’invitation à cette « Semaine européenne des abeilles et de la pollinisation », on distingue, aux côtés de BASF, les logos du programme des Nations Unis pour l’Environnement et de la Bees Biodiversity Network. Se présentant comme un collectif d’apiculteurs, cette organisation tient en partie son budget de… BASF qui, philanthropie oblige, accepta, par l’intermédiaire d’une salariée, d’enregistrer le nom de domaine du site internet du réseau (www.bees-biodiversity-network.org, aujourd’hui hors ligne).

« L’usage incorrect des pesticides ne devrait pas générer de doutes généraux sur la sécurité des produits de protection des cultures » – ECPA, Pollination Station

L’influence du lobby de l’agrochimie ne s’arrête pas aux portes du Parlement européen. Pour diffuser plus largement son discours, l’ECPA lance un site internet sur la pollinisation en 2012 : Pollination Station, bringing you the information you need to make a difference6. Jusqu’à sa mise hors ligne en 2017, ce site internet sert lui aussi au lobby pour se positionner comme producteur de savoirs et de solutions sur le sujet. Il y minimise l’ampleur de l’effondrement des pollinisateurs et sème le doute sur les raisons de cette catastrophe, relativisant le rôle des pesticides.

Ainsi peut-on lire sur une page titrée « Pourquoi des informations alertent sur le déclin des abeilles ? », que le problème serait multifactoriel, tout en étant principalement lié au Varroa destructor, petit acarien parasite des colonies d’abeilles véhiculant des maladies et affaiblissant les essaims. Les pesticides y sont présentés comme pouvant être localement problématiques en cas de mésusage : « l’usage incorrect des pesticides ne devrait pas générer de doutes généraux sur la sécurité des produits de protection des cultures. Certains pesticides, en particulier les insecticides, peuvent tuer les abeilles s’ils ne sont pas utilisés dans le respect des instructions. »
6En français : Pollination Station, vous apporter les informations dont vous avez besoin pour faire la différence.
Extrait du site Polination Station lancé par l'ECPA, le lobby de l'agrochimie en europe

« Des pertes localisées d’abeilles ont parfois eu lieu à cause d’usages incorrects de pesticides. » Capture d’écran du site www.pollination-station.eu le 09 avril 2014 (source : web.archive.org)

Sur une autre page traitant des pesticides, l’ECPA encense la régulation en place au niveau européen, rappelant que selon la régulation européenne No.1107/2009, un pesticide ne peut être approuvé que s’il « n’aura pas d’effets inacceptables aigus ou chroniques sur la survie et le développement des colonies, compte tenu des effets sur les larves d’abeilles et le comportement des abeilles ». Mais faute de document guide à jour sur la méthodologie d’évaluation de ces effets, ce règlement, protecteur sur le papier, a bel et bien permis la mise sur le marché des néonicotinoïdes sans avoir correctement évalué leur toxicité.

Ce sont là quelques exemples seulement des multiples opérations de communication menées par les entreprises agrochimiques pour se présenter comme des actrices raisonnables, porteuses de solutions face aux « variations de population dans les colonies ». Il s’agit évidemment pour elles de semer le doute sur l’ampleur de l’effondrement des populations d’abeilles et de minimiser le rôle des pesticides dans cette situation, dépeignant un système d’autorisation de ces produits sans faille et suffisamment protecteur des abeilles à miel. Circulez, rien à voir ! Mais ce mythe s’apprête à être fissuré par l’évaluation plus complète des effets de la toxicité de plusieurs néonicotinoïdes sur les abeilles.

PLUS DE 60 000 PERSONNES SOUTIENNENT L’ACTION DE POLLINIS
CONTRE L’EMPRISE DES LOBBYS SUR LES DÉCISIONS EUROPÉENNES

ET VOUS ?
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Le jour où les néonicotinoïdes sont devenus toxiques

En 2012, quand l’EFSA, l’autorité sanitaire européenne, mène une évaluation plus poussée de la toxicité de trois néonicotinoïdes sur les abeilles, la clothianidine, l’imidaclopride et la thiaméthoxame7, ces substances sont déjà utilisées depuis des années en Europe et font parler d’elles. La troisième, utilisée notamment dans la formulation du fameux insecticide Cruiser, manufacturé par Syngenta (depuis rachetée par ChemChina) et utilisé dans les champs de colza, est d’ailleurs dans le viseur du gouvernement français qui annonce en juin sa volonté de l’interdire, après avoir déjà limité l’usage de l’imidaclopride.

Lorsqu’elle a vent de la potentielle conclusion négative de l’évaluation en cours, l’industrie agrochimique fait tout pour que cet avis ne soit pas publié en l’état, et que cela ne constitue pas un précédent pour ses autres pesticides toxiques. Rien ne doit changer, surtout pas le récit qu’elle colporte et diffuse depuis des années : l’évaluation des risques que les pesticides font peser sur les abeilles est bonne et lui convient parfaitement. Elle a d’ailleurs activement participé à son élaboration8 à travers l’implication de l’ICPPR9 dans la confection des protocoles proposés par l’OEPP (Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes).

Mais l’inquiétude de l’industrie dépasse en réalité la seule question des néonicotinoïdes. Elle est également liée à l’émergence d’un document qui aurait pu profondément changer l’évaluation des effets des pesticides sur les pollinisateurs : l’EFSA Bee Guidance Document 201310. En effet, l’autorité sanitaire, pour évaluer les effets des trois néonicotinoïdes sur les pollinisateurs, a utilisé de façon tout à fait exceptionnelle une nouvelle méthodologie, fruit d’un comité scientifique indépendant. Certains éléments mobilisés pour cette évaluation se retrouveront dans le nouveau document cadre qu’elle publiera en juillet 2013, potentiellement applicable à l’ensemble des pesticides.
Éviter que tout ne change : l’empire contre-attaque

Face à l’ampleur du risque que ce document représente pour son activité, l’industrie agrochimique, nommément Bayer, Syngenta11 et le lobby qui les représente à Bruxelles, l’ECPA, opère donc une levée de boucliers et mène une attaque féroce récapitulée par Corporate Europe dans un article fouillé.

Ayant accès à certains résultats de l’évaluation en cours des trois substances néonicotinoïdes, les entreprises interpellent à plusieurs reprises la Commission européenne et l’EFSA à travers de multiples courriers et e-mails. Syngenta tente notamment de faire pression sur l’institution pour qu’elle modifie la formulation du communiqué de presse relayant ses conclusions, après avoir eu un accès au brouillon. Bayer et Syngenta financent également une étude commandée par plusieurs acteurs de l’agro-industrie, dont l’ECPA, et censée souligner les conséquences économiques « considérables » d’une interdiction des néonicotinoïdes en Europe, entraînant la disparition de « 50 000 emplois » et une perte de « plus de 17 milliards d’euros ». Un type d’argument mobilisant la peur et utilisé de manière récurrente par l’industrie pour éviter toute évolution contraire à ses intérêts12.

Malgré cet acharnement, l’avis de l’EFSA publié le 16 janvier 2013 conclut que ces trois substances présentent certains risques pour les abeilles. La partie n’étant pas encore complètement perdue, l’agrochimie continue ses attaques pour que l’avis ne soit pas suivi d’effets réglementaires. Bayer commande par exemple sa propre évaluation, fruit d’un « panel indépendant de scientifiques spécialistes des abeilles », en fait réalisée par l’entreprise Exponent, désignée par Corporate Europe comme spécialiste de « la défense des produits contre la régulation ». Dans le même temps, Syngenta demande accès à des documents internes et menace l’EFSA de poursuites judiciaires.

Publiquement, l’ECPA dénonce cette décision le jour même dans un communiqué et en profite pour attaquer la nouvelle méthodologie utilisée par l’EFSA. Son directeur général à l’époque, le précité Friedhelm Schmider, déclare ainsi que « l’EFSA a reconnu un niveau important d’incertitude dans son évaluation parce que les processus d’évaluation des risques pour les abeilles sont encore en développement ». Niant l’impact délétère des néonicotinoïdes sur les abeilles, il invite par ailleurs à « se concentrer sur les principales menaces pour la santé des abeilles, comme le Varroa, les maladies et la perte d’habitat et de ressources florales », détournant l’attention sur d’autres causes que les pesticides et ces substances en particulier.
7La clothianidine et l’imidaclopride ont été développées par Bayer, la thiaméthoxame par Syngenta.8Stéphane Foucart, Le Monde, 2012 – La faillite de l’évaluation des pesticides sur les abeilles
Lien
9La Commission Internationale pour les Relations entre Plantes et Pollinisateurs (alors l’ICPBR), entretient en effet des liens financiers avec plusieurs entreprises agrochimiques.
Le Monde - juillet 2012
10Ce document central dans cette histoire sera décrit plus en détails dans le prochain volet de cette enquête. Son titre complet en français : Document guide de l’EFSA sur l’évaluation des risques des produits de protection des plantes sur les abeilles (Apis mellifera, Bombus spp. et abeilles solitaires)
Consulter le document
11Syngenta, société suisse allemande rachetée en 2017 par ChemChina est une des principales multinationales de l’agrochimie. Le quatuor formé par Syngenta Group, Bayer, Corteva et BASF possédait en 2018 70 % du marché mondial des pesticides, et 57 % du marché des semences, en hausse considérable par rapport aux années 90.
Fondation Heinrich Böll, 2023, l'Atlas des pesticides.
12Lire, entre autres, cet article
Huffington Post, février 2023 : Le lobby des pesticides accusé de « chantage à l’emploi mensonger » par quatre ONG
Communiqué de presse de l'ECPA contre le Bee Guidance Document

« Concentrons-nous sur les dangers majeurs pour les abeilles ». Pour l’ECPA qui publie ce communiqué de presse le 16 janvier 2013, cela n’inclut évidemment pas les pesticides.

Malgré ces attaques, l’EFSA ne modifie pas son avis et la Commission prend dès le mois de mai 2013 des mesures pour limiter l’usage de la clothianidine, le thiaméthoxame et l’imidaclopride, une décision qui sera par la suite attaquée en justice par Bayer et Syngenta, qui se verront déboutés13. Si elle perd cette bataille, l’agrochimie aura tout de même réussi à écrire un scénario dans lequel son avis doit être considéré sur les sujets liés aux pollinisateurs et à l’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles.

Quelques mois plus tard, en juillet 2013, l’autorité sanitaire continue sur sa lancée et publie son EFSA Bee Guidance Document 2013, proposant d’appliquer plus largement la méthodologie dont elle vient de prouver l’efficacité en confirmant la toxicité des néonicotinoïdes pour les abeilles. Ce document cadre, proposant un ensemble de procédés d’évaluation, intégrant des résultats de la science indépendante et qui a servi à limiter l’usage de ces trois néonicotinoïdes tueurs d’abeilles, ne sera pourtant jamais appliqué. Les documents récupérés par POLLINIS et analysés dans les deux prochains volets de cette enquête révèlent que l’agrochimie a en effet trouvé des interlocuteurs plus sensibles à ses arguments : certains représentants des États membres de l’Union européenne réunis au sein d’un comité technique opaque, le SCoPAFF…
13
Communiqué de presse du Tribunal de l'Union Européenne

Le SCoPAFF est un comité européen aux pouvoirs surdimensionnés. Dans le secret, les représentants des États membres de l’Union européenne prennent des décisions sur tout ce qui a trait à l’agriculture et l’alimentation.



Pour que ces choix ne se fassent pas au profit de l’industrie et au détriment de la biodiversité, le SCoPAFF doit être rendu transparent.



Comme plus de 60 000 citoyens, signez la pétition de POLLINIS pour demander à libérer le SCoPAFF de l’emprise des lobbys, en rendant libre l’accès aux informations sur les membres du comité, leurs votes, les documents et comptes-rendus détaillés des réunions.



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Chapitre 1 (2011 - 2013)
L’agrochimie contre les abeilles

Des néonicotinoïdes à l’évaluation des risques des pesticides sur les abeilles : l'histoire d'une récidive de l'industrie agrochimique européenne.


En Europe en 2011, alors que commence notre histoire, les colonies d’abeilles à miel subissent depuis quinze ans des phénomènes d’effondrements dramatiques. Sous les projecteurs de l’Union européenne, une classe d’insecticides particulièrement toxiques pour les pollinisateurs : les substances néonicotinoïdes, dont plusieurs font déjà l’objet de restrictions en France.

Les molécules de cette classe de pesticides deviennent un enjeu public majeur, quand un projet de nouveaux « tests abeilles » émerge. Portés par l’EFSA, l’autorité sanitaire européenne, il s’agit de nouveaux protocoles d’évaluation des risques des pesticides, qui ont justement permis de démontrer la toxicité de plusieurs néonicotinoïdes et qui doivent être appliqués plus largement afin de mieux évaluer les effets de chaque substance active, dans chaque pesticide, sur les abeilles mellifères, les bourdons et les abeilles sauvages. L’enjeu : pouvoir interdire les produits qui participent à l’effondrement des pollinisateurs.

Pour ce faire, les nouveaux « tests abeilles » devront d’abord être validés par des laboratoires indépendants des fournisseurset fabriquants de pesticides nocifs pour les pollinisateurs

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Le SCoPAFF et l’agrochimie contre les abeilles : histoire d’un scandale européen
Chapitre 2 (2013-2016)
Un comité européen complice de l’industrie des pesticides

Quand le SCoPAFF fait bloc avec l’agrochimie contre la protection des pollinisateurs.

Pourquoi l’Europe a-t-elle jusqu’à présent refusé d’évaluer correctement les effets délétères des pesticides sur les abeilles ? POLLINIS a trouvé des pistes d’explication dans les 78 documents cachés de la Commission européenne, obtenus grâce à un travail acharné et une bataille judiciaire toujours en cours devant la Cour de Justice de l’Union européenne. L’ONG les a analysés en les croisant avec des documents émanant de l’industrie, collectés dans le cadre de cette enquête.

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En ce début d’été 2013, un vent porteur d’espoir souffle sur la biodiversité d’Europe. Alors que les populations d’abeilles continuent de s’effondrer, l’autorité sanitaire européenne (EFSA) vient de proposer, dans un document d’orientation, de nouveaux protocoles de tests mis au point par un panel d’experts indépendants pour évaluer efficacement les effets des pesticides sur les abeilles à miel (Apis mellifera), les bourdons (Bombus spp.) et les abeilles solitaires.

Résultat d’une mission confiée par la Commission européenne, ce document guide – l’EFSA Bee Guidance Document 20131, en anglais – et les nouveaux « tests abeilles » qu’il propose, pourraient constituer une avancée majeure pour la protection des pollinisateurs et de la biodiversité qui en dépend, en permettant d’interdire la mise sur le marché des substances actives dont la toxicité aura été démontrée.

L’EFSA Bee Guidance Document et les néonicotinoïdes

Après deux décennies de mobilisation des apiculteurs et des ONG contre les néonicotinoïdes, une classe d’insecticides systémiques particulièrement toxiques pour les abeilles, l’EFSA publie en janvier 2013 un avis sur la toxicité de trois de ces substances : la clothianidine, l’imidaclopride, et le thiaméthoxame. Elle conclut à des risques conséquents pour les abeilles après les avoir testées à l’aide des nouveaux « tests abeilles » qui seront présentés, quelques mois plus tard, dans son Bee Guidance Document.



Grâce à cet ensemble de tests démontrant la toxicité des néonicotinoïdes, plusieurs niveaux d’interdiction entreront en vigueur : l’efficacité de ces protocoles entraînera alors une contre-offensive de l’agrochimie pour tenter d’empêcher leur mise en place.



Pour en savoir davantage, lisez le premier volet de l’enquête.

Un réel progrès par rapport aux protocoles de tests utilisés jusque-là, qui mesurent surtout la toxicité aiguë des pesticides sur les abeilles à miel (Apis mellifera), c’est-à-dire les effets provoqués par leur exposition sur une courte période à une dose importante. Problème, les pesticides contemporains agissent selon des modes d’action divers, et peuvent avoir des effets qui ne sont pas directement mortels mais qui peuvent être délétères, entraînant par exemple la désorientation des butineuses ou réduisant leurs capacités de reproduction.

Il existe par ailleurs plus de deux mille espèces d’abeilles sauvages en Europe, souvent solitaires et plus fragiles que les abeilles à miel vivant en colonies, qu’aucune institution n’avait songé à inclure dans la mesure des effets des pesticides, bien qu’elles soient tout autant exposées à ces substances toxiques que leurs cousines domestiquées.

Pour pallier ces lacunes importantes, l’EFSA suggère donc dans le Bee Guidance Document 2013 :

de fixer des objectifs de protection ambitieux en fixant un taux de mortalité à ne pas dépasser ;
de prendre en compte les effets chroniques2 ou certains effets sublétaux3 tuant les abeilles exposées à très petites doses non létales sur le temps long ;
de prendre en compte de nouvelles voies d’exposition4 des abeilles aux pesticides ;
et d’élargir l’évaluation de la toxicité des pesticides aux bourdons et aux abeilles solitaires.

Ces nouveaux protocoles permettraient de renforcer significativement l’évaluation de la toxicité des pesticides et, ainsi, de pouvoir interdire la mise sur le marché des substances actives les plus dangereuses pour les abeilles à miel, les bourdons et les abeilles solitaires. Ce potentiel progrès pour la protection de la biodiversité n’est évidemment pas dans l’intérêt des marchands de pesticides, dont les recettes seraient directement menacées par l’adoption de ces nouveaux tests.
Un avenir moins toxique pour les abeilles ? L’agrochimie contre-attaque.

Réalisant la menace, la European Crop Protection Association (ECPA)5 – le lobby européen de l’agrochimie, aujourd’hui rebaptisé CropLife – va farouchement s’opposer à la publication puis à l’adoption du document-guide de l’EFSA. Le ton est donné dès les premières consultations publiques organisées par l’autorité sanitaire en octobre et novembre 2012, puis en février et mars 2013, comme le prévoit la législation européenne. C’est l’ECPA qui, parmi une soixantaine d’organisations participantes, envoie le plus de commentaires.
1European Food Safety Authority, 2013. EFSA Guidance Document on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees). EFSA Journal 2013; 11(7):3295, 268 pp.
Consulter le document guide
2Les effets chroniques sont évalués en exposant les abeilles aux substances sur une durée plus longue3Les effets sublétaux n’entraînent pas directement la mort, mais peuvent impacter la survie de la colonie, en affectant par exemple le sens de l’orientation des abeilles.4Le nouveau document inclut par exemple l’évaluation de l’exposition des abeilles aux pesticides par la consommation d’eau.5Ce lobby représente les principales entreprises de l’agrochimie devant les décideurs et les institutions de l’Union européenne (dont Bayer-Monsanto, Syngenta-ChemChina, BASF et Corteva).
Extraits des arguments de l'ECPA contre l'EFSA Bee Guidance Document

L’ECPA a soumis 79 puis 16 commentaires, regroupant ses arguments clés. La soixantaine d’organisations ayant participé ont une moyenne de 15 commentaires. Des entreprises de l’agrochimie ont également participé en leur nom à cette consultation. Plus on est de fous, plus on sévit ?

Dans les commentaires de l’ECPA se retrouvent les principaux arguments qui seront poussés par l’industrie tout au long des négociations secrètes, et repris par certains États membres de l’Union européenne. Pour faciliter leur lisibilité tout au long de l’enquête, ces arguments seront passés en gras :

L’EFSA propose de fixer l’objectif spécifique de protection6 des abeilles mellifères à 7 %. Traduction : pour pouvoir être autorisée, une substance pesticide ne doit pas entraîner la mort de plus de 7 % des abeilles d’une colonie qui y aurait été exposée (soit 2 points de plus que le taux de mortalité naturelle fixé à 5 % à partir d’études réalisées avant l’utilisation des néonicotinoïdes).
> L’industrie refuse cet objectif de protection trop contraignant, considérant que sa « pertinence biologique » est « discutable »7. Qu’importe si, comme le précise l’autorité sanitaire, ce chiffre a été validé préalablement par la majorité des États membres de l’Union européenne.
Pour faire respecter ce maximum de 7 % de mortalité, l’EFSA a établi une valeur seuil de toxicité chronique qui ne doit pas être dépassée. Traduction : la valeur seuil – calculée à partir d’une formule à trois facteurs – doit assurer que, lorsqu’un échantillon est exposée pendant 10 jours consécutifs à une substance pesticide, cela n’entraine pas la mort de plus de 7 % des abeilles qui le composent.
> L’industrie juge cette valeur seuil « trop conservatrice ». Autrement dit, elle protégerait trop les abeilles, dont les bourdons, et pas assez les intérêts économiques des multinationales de l’agrochimie. Selon le lobby de l’agrochimie, 95 % des substances actives ne valideraient pas le premier palier d’évaluation en laboratoire et devraient donc être évaluées aux paliers suivants8, ce que l’industrie juge inacceptable. Le lobby se fonde sur une « étude d’impact » réalisée par ses soins et dont dont il ne donnera pas les références avant 2017.
Dans sa volonté de mieux protéger les abeilles au plus vite, l’EFSA propose d’utiliser des tests élaborés par ses soins sur la base des protocoles en cours de validation par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Traduction : les populations d’abeilles et de bourdons s’effondrent, et il ne faut pas attendre que les nouveaux protocoles de tests suivent le schéma classique de validation par les instances internationales, comme l’OCDE ou l’OEPP9, ce qui prendrait des années – voire des décennies.
> L’industrie juge « irréalistes » les recommandations de l’autorité sanitaire et remet en cause la validité des protocoles proposés10. Elle n’a absolument pas intérêt à ce que des méthodes mises au point par des laboratoires indépendants soient acceptées, car jusqu’ici elle détermine elle-même la plupart des protocoles de tests utilisés pour l’évaluation des ses produits.

« Le nouveau document met en place des objectifs irréalistes pendant que l’industrie recherche des solutions pour protéger les pollinisateurs »

– déclare l’ECPA, en réaction (immédiate) à la publication de l’EFSA Bee Guidance Document.

En juillet 2013, quand l’autorité de sécurité des aliments publie son Bee Guidance Document, les lobbys sont sur le pied de guerre, et leur stratégie est bien arrêtée. L’ECPA dégaine aussitôt un communiqué de presse sobrement intitulé : « Santé des abeilles : le guide de l’EFSA potentiellement contre-productif – le nouveau document pose des attentes irréalistes alors que l’industrie recherche des solutions pour protéger les pollinisateurs ». Poursuivant la stratégie fixée pour répondre au scandale des néonicotinoïdes, les industriels de l’agrochimie veulent se présenter comme des acteurs de bonne volonté, soucieux de proposer leurs solutions à l’effondrement des colonies d’abeilles, plus efficaces que les propositions de l’autorité sanitaire européenne. L’ECPA ira même jusqu’à qualifier le document de l’EFSA d’obstacle à la protection des abeilles dans une tentative décomplexée d’inversion des rôles.

Le lobby des agrochimistes qualifie ainsi le Bee Guidance Document de « schéma disproportionné » et espère, face aux errances de l’autorité sanitaire européenne et de la Commission européenne, obtenir le soutien des États membres de l’Union européenne pour la suite des négociations : « Quand il s’agit de protéger la santé des abeilles et la productivité agricole, nous ne sommes pas seuls à espérer que les autorités des pays membres reconnaissent les lacunes de ce document, fastidieux et potentiellement contreproductif ». Un appel à l’aide qui ne restera, hélas, pas lettre morte.
6C’est en anglais que cette formule se retrouve dans les documents : « Specific Protection Goal » (également sous sa forme abréviée « SPG »)7« It is questionable in how far a 7% reduction of colony size is biologically significant at all. »
Outcome of the First Round of Public Consultation on the draft Guidance Document on the Risk Assessment of Plant Protection Products on Bees (Apis mellifera, Bombus spp. and Solitary Bees), p.50
8« Chronic dietary risk assessments for adult bees indicated that 95% of all uses and substances would not pass the tier I risk assessment »
Outcome of the First Round of Public Consultation on the draft Guidance Document on the Risk Assessment of Plant Protection Products on Bees (Apis mellifera, Bombus spp. and Solitary Bees), p.26
9Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes.10« … testing under the proposed schemes/requirements will be logistically extremely challenging if not impossible and lead to considerable delays in approvals. »
Outcome of the First Round of Public Consultation on the draft Guidance Document on the Risk Assessment of Plant Protection Products on Bees (Apis mellifera, Bombus spp. and Solitary Bees), p.26

Défendre les abeilles et l’intérêt général : la position que POLLINIS a tenue pour défendre l’EFSA Bee Guidance 2013

(1/4) Un objectif spécifique de protection des abeilles mellifères de 7 % est adapté à la protection des colonies :

Cet « objectif spécifique de protection » a été calculé par l’EFSA en se basant sur le taux de mortalité naturelle des essaims, à partir de plusieurs études reconnues, précédant l’utilisation des néonicotinoïdes. L’une de ces études a été réalisée dans le cadre d’un jardin urbain non traité. L’autorité sanitaire a retenu le taux le plus bas par précaution, c’est-à-dire 5 % maximum de mortalité, auquel elle a ajouté une mortalité additionnelle causée par les pesticides, mais ne menaçant pas la survie de la colonie, déterminée par les chercheurs à 2 %. Cet objectif permet d’assurer une survie des essaims, même ceux dont la taille est limitée, et d’éviter de trop affaiblir les colonies qui, si leur population est trop réduite, seront plus exposées aux agressions extérieures et aux pathogènes.
Pour plus d’information, lire cet article.

Défendre les abeilles et l’intérêt général : la position que POLLINIS a tenue pour défendre l’EFSA Bee Guidance 2013

(2/4) Les valeurs seuils de l’EFSA Bee Guidance document 2013 sont valables et protectrices

La méthodologie employée par l’EFSA dans ce document afin d’établir les valeurs seuils pour la toxicité chronique est correcte et justifiée, car elle assure que les objectifs de protection sont respectés.

Défendre les abeilles et l’intérêt général : la position que POLLINIS a tenue pour défendre l’EFSA Bee Guidance 2013

(3/4) Que les essais en plein champ soient compliqués à réaliser ne justifie pas qu’on revoit les objectifs de protection à la baisse.

La possibilité qu’un nombre significatif de substances ne passeraient pas les premiers tests (ce qui n’a pas été démontré), entraînant un travail supplémentaire et des difficultés techniques aux étapes 2 et 3, ne justifie pas qu’ils soient révisés pour être moins protecteurs. Les objectifs de protection et les valeurs seuils du document sont justes et ont été déterminés pour protéger au mieux les pollinisateurs. Les difficultés qu’ils pourraient entraîner doivent être acceptées et résolues sur le plan technique.

Défendre les abeilles et l’intérêt général : la position que POLLINIS a tenue pour défendre l’EFSA Bee Guidance 2013

(4/4) La science académique propose des protocoles éprouvés et efficaces. Ils peuvent être utilisés.

Rien n’empêche l’EFSA de proposer des protocoles sur la base des connaissances scientifiques actuelles, aucun règlement ne l’entrave sur ce point. Au contraire, la réglementation européenne exige des autorités compétentes qu’elles s’appuient sur les connaissances scientifiques les plus récentes, peu importe la source.

Malgré cette première offensive des firmes agrochimiques, la Commission européenne choisit de soumettre en vue de son adoption, comme c’est la règle, l’EFSA Bee Guidance Document 2013 à l’avis des Etats membres représentés par des personnes réunies au sein du SCoPAFF, le Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale.

— Qu’est-ce que le SCoPAFF ? En lire plus —

Le Bee Guidance Document vient d’entrer dans un « trou noir décisionnel » de l’Union européenne. Il sera présenté une trentaine de fois en l’espace de six ans aux membres du SCoPAFF, sans jamais être adopté. Pourquoi ? Mystère… Bien qu’il joue un rôle central dans la gestion des pesticides, et de tout ce qui a trait à l’agriculture en Europe, le SCoPAFF est complètement opaque. Personne n’est censé connaître l’identité de ses membres et il est impossible pour les citoyens européens de connaître le détail des négociations qui s’y tiennent, ni les positions défendues par les représentants des différents pays composant le comité. Ou, du moins… presque impossible.

Grâce à une longue série d’actions et au soutien de plus de 130 000 citoyennes et citoyens apporté au recours juridique de l’ONG devant le tribunal de l’Union européenne, POLLINIS a en effet réussi à obtenir 78 documents11 jusqu’alors gardés secrets et divulguant les positions de plusieurs Etats membres. Un ensemble d’emails, de notes et de comptes-rendus, qui révèlent que plusieurs experts du SCoPAFF se sont systématiquement opposés à l’adoption des nouveaux protocoles de tests proposés par l’EFSA pour protéger les abeilles, en reprenant les arguments de l’agrochimie.

Consultez l’ensemble des documents obtenus par POLLINIS
11POLLINIS rend disponible l’ensemble des documents obtenus, classés chronologiquement.
Consulter les documents

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Le SCoPAFF à la rescousse de l’agrochimie : ce que disent les documents secrets obtenus par POLLINIS

En septembre 2013, le SCoPAFF se réunit pour la première fois pour discuter de l’EFSA Bee Guidance Document. Alors que les négociations commencent à peine, l’ECPA envoie directement ses positions – détaillées précédemment – aux membres du SCoPAFF dans un email du 18 septembre. L’accueil que réservent les représentants des États membres aux nouveaux protocoles de test est mitigé, avant de devenir glacial. C’est ce que montre le contenu des échanges obtenus par POLLINIS.

Plusieurs pays s’y opposent fermement, comme l’Italie, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Hongrie, le Royaume-Uni ou la Lettonie12. Certains de leurs arguments sont déjà parfaitement alignés avec les positions de l’industrie. À commencer par l’objectif spécifique de protection des colonies d’abeilles mellifères, qui avait pourtant été déterminé par l’EFSA sur la base d’études indépendantes et validé par les experts du comité13, au moment où l’autorité sanitaire élaborait les bases de son document-guide.

Le représentant du ministère de l’Agriculture slovaque14, dans un e-mail du 19 septembre 2013, refuse par exemple que l’objectif de mortalité maximum des colonies d’abeilles soit fixé à 7 % et demande qu’il soit remonté à 10 %, un chiffre « plus réaliste ». Le représentant de l’autorité sanitaire du Royaume-Uni15, déclare quant à lui trois mois plus tard, que l’objectif proposé serait « extrêmement difficile à mesurer », et que les membres du SCoPAFF « pourraient devoir [le] reconsidérer ».
12
Les documents sont consultables ici
13
EFSA Guidance Document on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees)(p12)
14
Document 44-2083
15
Document 38-2083
Mail de la slovaquie 2013 commentaires sur l'EFSA BGD

« L’objectif d’éviter une réduction de 7 % de la taille de la colonie (comme perte signifiante biologiquement) – en tant que la force de la colonie dépend de l’influence de plusieurs facteurs, nous proposons de fixer une réduction de 10 %, comme valeur plus réaliste. ». Email du représentant de la Slovaquie du 19 septembre cherchant à modifier l’objectif de protection.

Comme l’industrie, les représentants de plusieurs pays dénoncent également le fait que certaines méthodes proposées par l’EFSA ne sont pas (encore) reconnues par les instances internationales (OEPP, OCDE…), ce qui n’est pourtant pas une obligation règlementaire, mais une norme imposée petit à petit par les industriels désireux de centraliser les tests réalisés pour valider leurs produits au niveau mondial. Rappelez-vous : en l’absence de protocoles de tests validés par ces organisations, et dans l’objectif de mieux protéger les abeilles, l’EFSA a en effet choisi de nouvelles méthodes, déjà éprouvées, pour évaluer les effets clés des pesticides (chronique, larves, etc.).

Si le représentant du ministère de l’Agriculture espagnol16, dans un email du 17 septembre 2013, indique que le manque de protocoles de tests « standardisés et validés » rend l’évaluation difficile, le représentant de la Hongrie17, plus assertif, proclame dans un bref document du 19 septembre que l’usage de tests « non acceptés internationalement » rendra le processus de régulation « inefficace », et que les experts verront leur charge de travail augmenter. Les Pays-Bas usent également de cet argument, ajoutant que le document contiendrait selon eux un nombre significatif de « lacunes », un mot utilisé par l’ECPA dans son communiqué de presse quelques semaines auparavant.

Quelques pays ont des positions plus nuancées et critiquent les protocoles tout en proposant des évolutions constructives, comme la Grèce le 19 septembre 201318, ou la Finlande le 1er octobre19, qui suggèrent la mise en place d’outils simplifiant l’utilisation du document-guide qu’elles jugent respectivement « trop élaboré » ou « trop compliqué » . Ainsi, aucune position de soutien franc au document de l’EFSA n’émerge et la dynamique générale est au blocage.
16
Document 59-2083
17
Document 58-2083
18
Document 42-2083
19
Document 41-2083

Mail de la Hongrie 2013 commentaires sur l'EFSA BGD

« L’utilisation de protocoles de tests non-acceptés internationalement et la hausse attendue de la demande pour les tests des paliers supérieurs rendront le processus régulatoire plus difficile et inefficace. »

– Email du représentant de la Hongrie du 19 septembre 2013, critiquant l’utilisation de méthodes validées par la science indépendante mais pas par les instances internationales.

Mail des pays bas du 20 septembre 2013 commentaires sur l'EFSA BGD

« … les Pays-Bas concluent que l’évaluation des risques, basée sur le nouveau guide, prendra plus de temps et sera plus coûteuse que celle basée sur le guide précédent, affectant ainsi la disponibilité des [Produits de Protections des Plantes] »

– Email du représentant des Pays-Bas du 20 septembre 2013, insistant sur le coût des nouveaux protocoles de tests.
Mail du royaume uni 2013 décembre 2013

« Il est possible, cependant, que nous soyons obligés de reconsidérer cet objectif de protection particulier »

– Email du représentant du Royaume-Uni du 5 décembre 2013, évoquant notamment « le problème le plus important » selon lui : l’objectif spécifique de protection de 7 %.

La Commission tend la main, le SCoPAFF et l’agrochimie lui tordent le bras

Face à cet accueil pour le moins mitigé, la Commission s’ajuste et propose un compromis à la suite de plusieurs réunions de travail avec des experts du risque, représentants les États membres de l’Union européenne. Elle demande à l’EFSA de retravailler sa proposition pour la rendre plus « facile à utiliser » et, en avril 2014, elle met sur la table un nouveau plan de mise en place des protocoles de tests pour l’adoption progressive du document-guide. Pensé en trois étapes à court, moyen et long termes, ce plan a été élaboré avec le concours de l’EFSA et d’autorités compétentes des pays membres de l’Union européenne.

Décelé par POLLINIS dans un courriel envoyé par la Pologne à la Commission européenne le 28 avril 201420, le plan propose :

Une première étape (A) applicable dès janvier 2015, qui mettrait en place les protocoles de tests que la Commission considère comme suffisamment solides et éprouvés, par exemple, ceux qui permettent l’évaluation de la toxicité chronique par exposition orale des abeilles mellifères adultes. Certains de ces tests étant déjà validés ou en cours de validation par les instances internationales.
Une seconde étape (B), déployable à partir de janvier 2017, pour les protocoles de tests que la Commission considère devoir encore être perfectionnés pendant ces deux années.
Une troisième étape (C), à mettre en place ultérieurement, pour tous les protocoles de tests qui demanderaient, selon la Commission, plus de deux années avant de pouvoir être validées.

Bien que la majorité des représentants des États membres se disent séduits par l’idée d’une approche par étapes, le SCoPAFF s’oppose maintenant autant à la nature des protocoles de ces nouveaux tests qu’à leur calendrier de mise en œuvre.

Les échanges entre les représentants de l’Italie et ceux du Royaume-Unis témoignent notamment de cette évolution : dans un courriel du 14 avril 201421, un expert italien travaillant pour une institution publique de recherche agricole se réjouit par exemple du fait que la phase A prévoit l’application d’un test évaluant la toxicité aiguë des pesticides par contact direct pour les abeilles solitaires. Il soutient également l’idée qu’on peut très bien appliquer les tests en laboratoire, s’ils sont disponibles et validés, sans attendre que tous les tests des paliers deux et trois, c’est-à-dire les tests sous tunnel et les tests en plein champ, soient eux aussi disponibles.

Le représentant du Royaume-Uni s’oppose dès le lendemain à cette idée22. Il souligne qu’un test de laboratoire, même s’il est au point et validé ne devrait pas être utilisé si les protocoles de tests en plein champ ne sont pas validés auparavant par les instances internationales. Pour quelle raison ? Mystère. Le jour suivant, l’Autriche23 se range du côté de l’Italie, et la discussion est bloquée au point mort.

Deux mois plus tard, les négociations n’ont toujours pas avancé et les désaccords continuent. L’expert représentant le Portugal, dans un document du 5 juin 201424, affiche son opposition à la mise en place d’échéances du Bee guidance document et appelle de ses vœux une « approche pragmatique », sans échéance fixe, qui laisserait le temps de renforcer les protocoles et d’obtenir des « valeurs seuil plus robustes et réalistes ». Un autre représentant de l’Italie, dans un courrier officiel du Ministère de la Santé25, appuiera cette position quelques jours plus tard. Utilisé pour rejeter en bloc le nouveau document de l’EFSA et son calendrier de mise en place, cette idée d’une « approche pragmatique » fait ainsi sa première apparition dans les échanges entre membres du SCoPAFF. Elle s’avérera également être un élément de langage clé de la communication de l’industrie agrochimique, dévoilé dans le prochain volet de cette enquête.

Les représentants des deux pays feront un autre pas vers l’industrie en proposant, dans des termes très proches, l’utilisation d’un outil de modélisation appelé BEEHAVE. Présenté par le Portugal comme un simulateur « supportant une plus grande complexité dans les dynamiques des abeilles, leur comportement et survie », ce modèle censé mesurer virtuellement différents facteurs ayant un impact sur les colonies d’abeilles a été cofinancé par… Syngenta, depuis rachetée par Chemchina pour devenir la plus grande multinationale de l’agrochimie, que nous avons vu précédemment lutter activement contre les limitations d’usages des néonicotinoïdes. BEEHAVE sera jugé, en l’état, inapte à mesurer l’impact des pesticides sur les ruches par l’EFSA, dans un avis publié en juin 2015.

La Hongrie, fidèle à sa position de blocage strict, rappelle dans la même période ses « inquiétudes sur l’objectif de protection bas de 7 % » et demande que ce chiffre soit revu à la hausse. Son email du 10 juin 201426 vient conclure une première période d’environ un an, pendant laquelle les membres du SCoPAFF ont bloqué les propositions de l’EFSA et de la Commission européenne, reprenant à la lettre certains arguments de l’agrochimie.

Malgré une ultime tentative de l’EFSA pour prendre en compte les critiques des représentants des Etats membres, en publiant une nouvelle version du Bee Guidance Document le 4 juillet 201427, pour « améliorer sa faisabilité » et inclure deux nouveaux outils de calcul, les négociations patinent. On entre alors dans une phase de marasme : pendant deux ans, seuls deux échanges ont été relevés dans les documents obtenus par POLLINIS.

Cette période de creux va permettre à l’agrochimie de reprendre des forces et de consolider ces arguments pour attaquer à nouveau le Bee Guidance Document et le mettre à terre. Dans le prochain volet de cette enquête, nous verrons que les États membres représentés au SCoPAFF ne prendront pas davantage la défense du document-guide et lui porteront même le coup fatal, satisfaisant ainsi les attentes de l’agrochimie.
20
Document 11-2083
21
Document 5-2083
22
Document 6-2083
23
Document 7-2083
24
Document 57-2083
25
Document 40-2083
26
Document 39-2083
27
EFSA Guidance Document on the risk assessment of plant protection products on bees (Apis mellifera, Bombus spp. and solitary bees) - p1

Le SCoPAFF est un comité européen aux pouvoirs surdimensionnés. Dans le secret, les représentants des États membres de l’Union européenne prennent des décisions sur tout ce qui a trait à l’agriculture et l’alimentation.



Pour que ces choix ne se fassent pas au profit de l’industrie et au détriment de la biodiversité, le SCoPAFF doit être rendu transparent.



Comme plus de 60 000 citoyens, signez la pétition de POLLINIS pour demander à libérer le SCoPAFF de l’emprise des lobbys, en rendant libre l’accès aux informations sur les membres du comité, leurs votes, les documents et comptes-rendus détaillés des réunions.



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